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Aussi riait-il d'un bon rire, le
matin où il arriva avec sa voiture, pour prendre Jean, heureux de
faire échapper un autre de ces vaincus de Sedan, tout ce pauvre et
brave monde, comme il disait, qu'il soignait, qu'il aidait de sa
bourse. Jean, qui souffrait de la question d'argent, sachant
Henriette pauvre, avait accepté les cinquante francs que le
docteur lui offrait pour son voyage.

Le père Fouchard, pour les adieux, fit bien les choses. Il envoya
Silvine chercher deux bouteilles de vin, il voulut que tout le
monde bût un verre à l'extermination des allemands. Lui, gros
monsieur désormais, tenait son magot, caché quelque part; et,
tranquille depuis que les francs-tireurs des bois de Dieulet
avaient disparu, traqués comme des fauves, il n'avait plus que le
désir de jouir de la paix prochaine, lorsqu'elle serait conclue.
Même, dans un accès de générosité, il venait de donner des gages à
Prosper, pour l'attacher à la ferme, que le garçon, d'ailleurs,
n'avait pas l'envie de quitter. Il trinqua avec Prosper, il voulut
trinquer aussi avec Silvine, dont il avait eu un instant l'idée de
faire sa femme, tant il la voyait sage, tout entière à sa besogne;
mais à quoi bon? Il sentait bien qu'elle ne se dérangerait plus,
qu'elle serait encore là, lorsque Charlot, grandi, partirait comme
soldat à son tour. Et, quand il eut trinqué avec le docteur, avec
Henriette, avec Jean, il s'écria:

-- À la santé de tous! Que chacun fasse son affaire et ne se porte
pas plus mal que moi!

Henriette avait absolument voulu accompagner Jean jusqu'à Sedan.
Il était en bourgeois, avec un paletot et un chapeau rond, prêtés
par le docteur. Ce jour-là, le soleil luisait sur la neige, par le
grand froid terrible. On ne devait que traverser la ville; mais,
lorsque Jean sut que son colonel était toujours chez les
Delaherche, une grande envie lui vint d'aller le saluer; et, en
même temps, il remercierait le fabricant de ses bontés. Ce fut sa
dernière douleur, dans cette ville de désastre et de deuil. Comme
ils arrivaient à la fabrique de la rue Maqua, une fin tragique y
bouleversait la maison. Gilberte s'effarait, Madame Delaherche
pleurait de grosses larmes silencieuses, tandis que son fils,
remonté de ses ateliers, où le travail avait un peu repris,
poussait des exclamations de surprise. On venait de trouver le
colonel, sur le parquet de sa chambre, tombé comme une masse,
mort. L'éternelle lampe brûlait seule, dans la pièce close. Appelé
en hâte, un médecin n'avait pas compris, ne découvrant aucune
cause probable, ni anévrisme, ni congestion. Le colonel était
mort, foudroyé, sans qu'on sût d'où était venue la foudre; et, le
lendemain seulement, on ramassa un morceau de vieux journal, qui
avait servi de couverture à un livre, et où se trouvait le récit
de la reddition de Metz.

-- Ma chère, dit Gilberte à Henriette, Monsieur de Gartlauben,
tout à l'heure, en descendant l'escalier, a ôté son chapeau devant
la porte de la pièce où repose le corps de mon oncle... C'est
Edmond qui l'a vu, et, n'est-ce pas? C'est un homme décidément
très bien.

Jamais encore Jean n'avait embrassé Henriette. Avant de remonter
dans le cabriolet, avec le docteur, il voulut la remercier de ses
bons soins, de l'avoir soigné et aimé comme un frère. Mais il ne
trouva pas les mots, il ouvrit les bras, il l'embrassa en
sanglotant. Elle était éperdue, elle lui rendit son baiser. Quand
le cheval partit, il se retourna, leurs mains s'agitèrent, tandis
qu'ils répétaient d'une voix bégayante:

-- Adieu! Adieu!

Cette nuit-là, Henriette, rentrée à Remilly, était de service à
l'ambulance. Pendant sa longue veillée, elle fut encore prise
d'une affreuse crise de larmes, et elle pleura, elle pleura
infiniment, en étouffant sa peine entre ses deux mains jointes.




VII


Au lendemain de Sedan, les deux armées allemandes s'étaient
remises à rouler leurs flots d'hommes vers Paris, l'armée de la
Meuse arrivait au nord par la vallée de la Marne, tandis que
l'armée du prince royal de Prusse, après avoir passé la Seine à
Villeneuve-Saint-Georges, se dirigeait sur Versailles, en
contournant la ville au sud. Et, ce tiède matin de septembre,
quand le général Ducrot, auquel on avait confié le 14e corps, à
peine formé, résolut d'attaquer cette dernière, pendant sa marche
de flanc, Maurice qui campait dans les bois, à gauche de Meudon,
avec son nouveau régiment, le 115e, ne reçut l'ordre de marcher
que lorsque le désastre était déjà certain. Quelques obus avaient
suffi, une effroyable panique s'était déclarée dans un bataillon
de zouaves composé de recrues, le reste des troupes venait d'être
emporté, au milieu d'une débandade telle, que ce galop de déroute
ne s'arrêta que derrière les remparts, dans Paris, où l'alarme fut
immense. Toutes les positions en avant des forts du sud étaient
perdues; et, le soir même, le dernier fil qui reliait la ville à
la France, le télégraphe du chemin de fer de l'ouest, fut coupé.
Paris était séparé du monde.

Ce fut, pour Maurice, une soirée d'affreuse tristesse. Si les
allemands avaient osé, ils auraient campé la nuit sur la place du
Carrousel. Mais c'étaient des gens d'absolue prudence, résolus à
un siège classique, ayant réglé déjà les points exacts de
l'investissement, le cordon de l'armée de la Meuse au nord, de
Croissy à la Marne, en passant par Épinay, l'autre cordon de la
troisième armée au midi, de Chennevières à Châtillon et à
Bougival, pendant que le grand quartier Prussien, le roi
Guillaume, M De Bismarck et le général de Moltke régnaient à
Versailles. Ce blocus géant, auquel on ne croyait pas, était un
fait accompli. Cette ville, avec son enceinte bastionnée de huit
lieues et demie de tour, avec ses quinze forts et ses six redoutes
détachées, allait se trouver comme en prison. Et l'armée de
défense ne comptait que le 13e corps, sauvé et ramené par le
général Vinoy, le 14e en voie de formation, confié au général
Ducrot, réunissant à eux deux un effectif de quatre-vingt mille
soldats, auxquels il fallait ajouter les quatorze mille hommes de
la marine, les quinze mille des corps francs, les cent quinze
mille de la garde mobile, sans parler des trois cent mille gardes
nationaux, répartis dans les neuf secteurs des remparts. S'il y
avait là tout un peuple, les soldats aguerris et disciplinés
manquaient. On équipait les hommes, on les exerçait, Paris n'était
plus qu'un immense camp retranché. Les préparatifs de défense
s'enfiévraient d'heure en heure, les routes coupées, les maisons
de la zone militaire rasées, les deux cents canons de gros calibre
et les deux mille cinq cents autres pièces utilisées, d'autres
canons fondus, tout un arsenal sortant du sol, sous le grand
effort patriotique du ministre Dorian. Après la rupture des
négociations de Ferrières, lorsque Jules Favre eut fait connaître
les exigences de M De Bismarck, la cession de l'Alsace, la
garnison de Strasbourg prisonnière, trois milliards d'indemnité,
un cri de colère s'éleva, la continuation de la guerre, la
résistance fut acclamée, comme une condition indispensable à la
vie de la France. Même sans espoir de vaincre, Paris devait se
défendre, pour que la patrie vécût.

Un dimanche de la fin septembre, Maurice fut envoyé en corvée, à
l'autre bout de la ville, et les rues qu'il suivit, les places
qu'il traversa, l'emplirent d'une nouvelle espérance. Depuis la
déroute de Châtillon, il lui semblait que les coeurs s'étaient
haussés pour la grande besogne. Ah! ce Paris qu'il avait connu si
âpre à jouir, si près des dernières fautes, il le retrouvait
simple, d'une bravoure gaie, ayant accepté tous les sacrifices. On
ne rencontrait que des uniformes, les plus désintéressés portaient
un képi de garde national. Comme une horloge géante dont le
ressort éclate, la vie sociale s'était arrêtée brusquement,
l'industrie, le commerce, les affaires; et il ne restait qu'une
passion, la volonté de vaincre, l'unique sujet dont on parlait,
qui enflammait les coeurs et les têtes, dans les réunions
publiques, pendant les veillées des corps de garde, parmi les
continuels attroupements de foule barrant les trottoirs. Ainsi
mises en commun, les illusions emportaient les âmes, une tension
jetait ce peuple au danger des folies généreuses. C'était déjà
toute une crise de nervosité maladive qui se déclarait, une
épidémique fièvre exagérant la peur comme la confiance, lâchant la
bête humaine débridée, au moindre souffle. Et Maurice assista, rue
des martyrs, à une scène qui le passionna: tout un assaut, une
bande furieuse se ruant contre une maison dont on avait vu une des
fenêtres hautes, la nuit entière, éclairée d'une vive clarté de
lampe, un évident signal aux Prussiens de Bellevue, par-dessus
Paris. Des bourgeois hantés vivaient sur leurs toits, pour
surveiller les environs. La veille, on avait voulu noyer dans le
bassin des Tuileries un misérable qui consultait un plan de la
ville, ouvert sur un banc.

Cette maladie du soupçon, Maurice, autrefois d'esprit si dégagé,
venait de la contracter lui aussi, dans l'ébranlement de tout ce
qu'il avait cru jusque-là. Il ne désespérait plus, comme au soir
de la panique de Châtillon, anxieux de savoir si l'armée Française
retrouverait jamais la virilité de se battre: la sortie du 30
septembre sur L'Hay et Chevilly, celle du 13 octobre où les
mobiles avaient enlevé Bagneux, enfin celle du 21 octobre, dans
laquelle son régiment s'était emparé un instant du parc de la
Malmaison, lui avaient rendu toute sa foi, cette flamme de
l'espoir qu'une étincelle suffisait à rallumer et qui le
consumait. Si les Prussiens l'avaient arrêtée sur tous les points,
l'armée ne s'en était pas moins bravement battue, elle pouvait
vaincre encore. Mais la souffrance de Maurice venait de ce grand
Paris, qui sautait de l'illusion extrême au pire découragement,
hanté par la peur de la trahison, dans son besoin de victoire.
Est-ce qu'après l'empereur et le maréchal De Mac-Mahon, le général
Trochu, le général Ducrot n'allaient pas être les chefs médiocres,
les ouvriers inconscients de la défaite? Le même mouvement qui
avait emporté l'empire, menaçait d'emporter le gouvernement de la
défense nationale, toute une impatience des violents à prendre le
pouvoir, pour sauver la France.



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