Total read books on site: You can read its for free! |
je veux que tu vives!... Ne parle plus, laisse-moi faire! Cependant, lorsque Henriette eut examiné le bras traversé, les côtes atteintes, elle s'assombrit, ses yeux se troublèrent. Vivement, elle prenait possession de la chambre, parvenait à trouver un peu d'huile, déchirait de vieilles chemises pour en faire des bandes, tandis que Jean descendait chercher une cruche d'eau. Il n'ouvrait plus la bouche, il la regarda laver les blessures, les panser adroitement, incapable de l'aider, anéanti, depuis qu'elle était là. Quand elle eut fini, voyant son inquiétude, il offrit pourtant de se mettre en quête d'un médecin. Mais elle avait toute son intelligence nette: non, non! Pas le premier médecin venu, qui livrerait peut-être son frère! Il fallait un homme sûr, on pouvait attendre quelques heures. Enfin, comme Jean parlait de s'en aller, pour rejoindre son régiment, il fut entendu que, dès qu'il lui serait possible de s'échapper, il reviendrait, en tâchant de ramener un chirurgien avec lui. Il ne partit pas encore, il semblait ne pouvoir se résoudre à quitter cette chambre, toute pleine du malheur qu'il avait fait. Après avoir été refermée un instant, la fenêtre venait d'être ouverte de nouveau. Et, de son lit, la tête haute, le blessé regardait, tandis que les deux autres avaient, eux aussi, les regards perdus au loin, dans le lourd silence qui avait fini par les accabler. De cette hauteur de la butte des moulins, toute une grande moitié de Paris s'étendait sous eux, d'abord les quartiers du centre, du faubourg Saint-Honoré jusqu'à la Bastille, puis le cours entier de la Seine, avec le pullulement lointain de la rive gauche, une mer de toitures, de cimes d'arbres, de clochers, de dômes et de tours. Le jour grandissait, l'abominable nuit, une des plus affreuses de l'histoire, était finie. Mais, dans la pure clarté du soleil levant, sous le ciel rose, les incendies continuaient. En face, on apercevait les Tuileries qui brûlaient toujours, la caserne d'Orsay, les palais du Conseil d'État et de la Légion d'Honneur, dont les flammes, pâlies par la pleine lumière, donnaient au ciel un grand frisson. Même, au delà des maisons de la rue de Lille et de la rue du Bac, d'autres maisons devaient flamber, car des colonnes de flammèches montaient du carrefour de la Croix-Rouge, et plus loin encore, de la rue Vavin et de la rue Notre-Dame-des- Champs. Sur la droite, tout près, s'achevaient les incendies de la rue Saint-Honoré, tandis que, sur la gauche, au Palais-Royal et au nouveau Louvre, avortaient des feux tardifs, mis vers le matin. Mais, surtout, ce qu'ils ne s'expliquèrent pas d'abord, c'était une grosse fumée noire que le vent d'ouest poussait jusque sous la fenêtre. Depuis trois heures du matin, le ministère des finances brûlait, sans flammes hautes, se consumait en épais tourbillons de suie, tellement le prodigieux amas des paperasses s'étouffait, sous les plafonds bas, dans ces constructions de plâtre. Et, s'il n'y avait plus là, au-dessus du réveil de la grande ville, l'impression tragique de la nuit, l'épouvante d'une destruction totale, la Seine roulant des braises, Paris allumé aux quatre bouts, une tristesse désespérée et morne passait sur les quartiers épargnés, avec cette épaisse fumée continue, dont le nuage s'élargissait toujours. Bientôt le soleil, qui s'était levé limpide, en fut caché; et il ne resta que ce deuil, dans le ciel fauve. Maurice, que le délire devait reprendre, murmura, avec un geste lent qui embrassait l'horizon sans bornes: -- Est-ce que tout brûle? Ah! que c'est long! Des larmes étaient montées aux yeux d'Henriette, comme si son malheur s'était accru encore de ces désastres immenses, où avait trempé son frère. Et Jean, qui n'osa ni lui reprendre la main, ni embrasser son ami, partit alors d'un air fou. -- Au revoir, à tout à l'heure! Il ne put revenir que le soir, vers huit heures, après la nuit tombée. Malgré sa grande inquiétude, il était heureux: son régiment, qui ne se battait plus, venait de passer en seconde ligne, et avait reçu l'ordre de garder le quartier; de sorte que, bivouaquant avec sa compagnie sur la place du carrousel, il espérait pouvoir monter, chaque soir, prendre des nouvelles du blessé. Et il ne revenait pas seul, un hasard lui avait fait rencontrer l'ancien major du 106e, qu'il amenait dans un coup de désespoir, n'ayant pu trouver un autre médecin, en se disant que, tout de même, ce terrible homme, à tête de lion, était un brave homme. Quand Bouroche, qui ne savait pour quel blessé ce soldat suppliant le dérangeait, et qui grognait d'être monté si haut, eut compris qu'il avait sous les yeux un communard, il entra d'abord dans une violente colère. -- Tonnerre de Dieu! est-ce que vous vous fichez de moi? ... Des brigands qui sont las de voler, d'assassiner et d'incendier!... Son affaire est claire, à votre bandit, et je me charge de le faire guérir, oui! avec trois balles dans la tête! Mais la vue d'Henriette, si pâle dans sa robe noire, avec ses beaux cheveux blonds dénoués, le calma brusquement. -- C'est mon frère, monsieur le major, et c'est un de vos soldats de Sedan. Il ne répondit pas, débanda les plaies, les examina en silence, tira des fioles de sa poche et refit un pansement, en montrant à la jeune femme comment on devait s'y prendre. Puis, de sa voix rude, il demanda tout à coup au blessé: -- Pourquoi t'es-tu mis du côté des gredins, pourquoi as-tu fait une saleté pareille? Maurice, les yeux luisants, le regardait depuis qu'il était là, sans ouvrir la bouche. Il répondit ardemment, dans sa fièvre: -- Parce qu'il y a trop de souffrance, trop d'iniquité et trop de honte! Alors, Bouroche eut un grand geste, comme pour dire qu'on allait loin, quand on entrait dans ces idées-là. Il fut sur le point de parler encore, finit par se taire. Et il partit, en ajoutant simplement: -- Je reviendrai. Sur le palier, il déclara à Henriette qu'il n'osait répondre de rien. Le poumon était touché sérieusement, une hémorragie pouvait se produire, qui foudroierait le blessé. Lorsque Henriette rentra, elle s'efforça de sourire, malgré le coup qu'elle venait de recevoir en plein coeur. Est-ce qu'elle ne le sauverait pas, est-ce qu'elle n'allait pas empêcher cette affreuse chose, leur éternelle séparation à tous les trois, qui étaient là réunis encore, dans leur ardent souhait de vie? De la journée, elle n'avait pas quitté cette chambre, une vieille voisine s'était chargée obligeamment de ses commissions. Et elle revint reprendre sa place, près du lit, sur une chaise. Mais, cédant à son excitation fiévreuse, Maurice questionnait Jean, voulait savoir. Celui-ci ne disait pas tout, évitait de conter l'enragée colère qui montait contre la Commune agonisante, dans Paris délivré. On était déjà au mercredi. Depuis le dimanche soir, depuis deux grands jours, les habitants avaient vécu au fond de leurs caves, suant la peur; et, le mercredi matin, lorsqu'ils avaient pu se hasarder, le spectacle des rues défoncées, les débris, le sang, les effroyables incendies surtout, venaient de les jeter à une exaspération vengeresse. Le châtiment allait être immense. On fouillait les maisons, on jetait aux pelotons des exécutions sommaires le flot suspect des hommes et des femmes qu'on ramassait. Dès six heures du soir, ce jour-là, l'armée de Versailles était maîtresse de la moitié de Paris, du parc de Montsouris à la gare du nord, en passant par les grandes voies. Et les derniers membres de la Commune, une vingtaine, avaient dû se réfugier boulevard Voltaire, à la mairie du XIe arrondissement. Un silence se fit, Maurice murmura, les yeux au loin sur la ville, par la fenêtre ouverte à l'air tiède de la nuit: -- Enfin, ça continue, Paris brûle! C'était vrai, les flammes avaient reparu, dès la tombée du jour; et, de nouveau, le ciel s'empourprait d'une lueur scélérate. Dans l'après-midi, lorsque la poudrière du Luxembourg avait sauté avec un fracas épouvantable, le bruit s'était répandu que le Panthéon venait de crouler au fond des catacombes. Toute la journée d'ailleurs, les incendies de la veille avaient continué, le palais du Conseil d'État et les Tuileries brûlaient, le ministère des Finances fumait à gros tourbillons. Dix fois, il avait fallu fermer la fenêtre, sous la menace d'une nuée de papillons noirs, des vols incessants de papiers brûlés, que la violence du feu emportait au ciel, d'où ils retombaient en pluie fine; et Paris entier en fut couvert, et l'on en ramassa jusqu'en Normandie, à vingt lieues. Puis, maintenant, ce n'étaient pas seulement les quartiers de l'ouest et du sud qui flambaient, les maisons de la rue Royale, celles du carrefour de la Croix-Rouge et de la rue Notre-Dame-des-Champs. Tout l'est de la ville semblait en flammes, l'immense brasier de l'Hôtel de Ville barrait l'horizon d'un bûcher géant. Et il y avait encore là, allumés comme des torches, le Théâtre-Lyrique, la mairie du ive arrondissement, plus de trente maisons des rues voisines; sans compter le théâtre de la Porte-Saint-Martin, au nord, qui rougeoyait à l'écart, ainsi qu'une meule, au fond des champs ténébreux. Des vengeances particulières s'exerçaient, peut-être aussi des calculs criminels s'acharnaient-ils à détruire certains dossiers. Il n'était même plus question de se défendre, d'arrêter par le feu les troupes victorieuses. Seule, la démence soufflait, le Palais de Justice, l'Hôtel-Dieu, Notre-Dame venaient d'être sauvés, au petit bonheur du hasard. Détruire pour détruire, ensevelir la vieille humanité pourrie sous les cendres d'un monde, dans l'espoir qu'une société nouvelle repousserait heureuse et candide, en plein paradis terrestre des primitives légendes! -- Ah! la guerre, l'exécrable guerre! dit à demi-voix Henriette, en face de cette cité de ruines, de souffrance et d'agonie. N'était-ce pas, en effet, l'acte dernier et fatal, la folie du sang qui avait germé sur les champs de défaite de Sedan et de Metz, l'épidémie de destruction née du siège de Paris, la crise suprême d'une nation en danger de mort, au milieu des tueries et des écroulements? Mais Maurice, sans quitter des yeux les quartiers qui brûlaient, là-bas, bégaya lentement, avec peine: -- Non, non, ne maudis pas la guerre... Pages: | Prev | | 1 | | 2 | | 3 | | 4 | | 5 | | 6 | | 7 | | 8 | | 9 | | 10 | | 11 | | 12 | | 13 | | 14 | | 15 | | 16 | | 17 | | 18 | | 19 | | 20 | | 21 | | 22 | | 23 | | 24 | | 25 | | 26 | | 27 | | 28 | | 29 | | 30 | | 31 | | 32 | | 33 | | 34 | | 35 | | 36 | | 37 | | 38 | | 39 | | 40 | | 41 | | 42 | | 43 | | 44 | | 45 | | 46 | | 47 | | 48 | | 49 | | 50 | | 51 | | 52 | | 53 | | 54 | | 55 | | 56 | | 57 | | 58 | | 59 | | 60 | | 61 | | 62 | | 63 | | 64 | | 65 | | 66 | | 67 | | 68 | | 69 | | 70 | | 71 | | 72 | | 73 | | 74 | | 75 | | 76 | | 77 | | 78 | | 79 | | 80 | | 81 | | 82 | | 83 | | 84 | | 85 | | 86 | | 87 | | 88 | | 89 | | 90 | | 91 | | 92 | | 93 | | 94 | | 95 | | 96 | | 97 | | 98 | | 99 | | 100 | | 101 | | 102 | | 103 | | 104 | | 105 | | 106 | | 107 | | 108 | | 109 | | 110 | | 111 | | 112 | | 113 | | 114 | | 115 | | Next | Keywords: |
Your last read book: You dont read books at this site. |