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Text on one page: Few Medium Many
ma pauvre enfant, j'ai attendu d'être seule avec toi, il faut que
tu saches.... Tout est fini, bien fini.

Éperdue, Angélique s'était redressée, criant:

--Félicien est mort!

--Non, non.

--S'il ne vient pas, c'est qu'il est mort!

Et Hubertine dut expliquer que, le lendemain de la procession, elle
l'avait vu, pour exiger également de lui le serment de ne plus
reparaître, tant qu'il n'aurait pas l'autorisation de Monseigneur.
C'était un congé définitif, car elle savait le mariage impossible. Elle
l'avait bouleversé, en lui montrant sa mauvaise action, cette pauvre
fille confiante, ignorante, qu'il compromettait, sans pouvoir l'épouser
un jour; et il s'était écrié, lui aussi, qu'il mourrait du chagrin de ne
pas la revoir, plutôt que d'être déloyal. Le soir même, il se confessait
à son père.

--Voyons, reprit Hubertine, tu as tant de courage, que je te parle sans
ménagement.... Ah! si tu savais, mignonne, comme je te plains et comme je
t'admire, depuis que je te sens si fière, si brave, à te taire et à être
gaie, lorsque ton coeur éclate.... Mais il t'en faut encore, du courage,
beaucoup, beaucoup.... J'ai rencontré cet après-midi l'abbé Cornille.
Tout est fini, Monseigneur ne veut pas.

Elle s'attendait à une crise de larmes, et elle s'étonna de la voir,
très pâle, se rasseoir, l'air tranquille. La vieille table de chêne
venait d'être desservie, une lampe éclairait l'antique salle commune,
dont la paix n'était troublée que par le petit frémissement du coquemar.

--Mère, rien n'est fini.... Racontez-moi, j'ai le droit d'être
renseignée, n'est-ce pas? Puisque ce sont là mes affaires.

Et elle écouta attentivement ce qu'Hubertine crut pouvoir lui dire des
choses qu'elle tenait de l'abbé, sautant certains détails, continuant de
cacher la vie à cette ignorante.

Depuis qu'il avait appelé son fils près de lui, Monseigneur vivait dans
le trouble. Après l'avoir écarté de sa présence, au lendemain de la mort
de sa femme, et être resté vingt ans sans consentir à le connaître,
voilà qu'il le voyait dans la force et l'éclat de la jeunesse, vivant
portrait de celle qu'il pleurait, ayant son âge, la grâce blonde de sa
beauté. Ce long exil, cette rancune contre l'enfant qui lui avait coûté
la mère, était aussi une prudence: il le sentait à cette heure, il
regrettait d'être revenu sur sa volonté. L'âge, vingt années de prières,
Dieu descendu en lui, rien n'avait tué l'homme ancien. Et il suffisait
que ce fils de sa chair, cette chair de la femme adorée se dressât, avec
le rire de ses yeux bleus, pour que son coeur battît à se rompre, en
croyant que la morte ressuscitait. Il se frappait la poitrine du poing,
il sanglotait dans la pénitence inefficace, criant qu'on devrait
interdire le sacerdoce à ceux qui ont goûté à la femme, qui ont gardé
d'elle des liens de sang.

Le bon abbé Cornille en avait parlé à Hubertine, tout bas, les mains
tremblantes. Des bruits mystérieux couraient, on chuchotait que
Monseigneur s'enfermait dès le crépuscule; et c'étaient des nuits de
combat, des larmes, des plaintes, dont la violence, étouffée par les
tentures, effrayait l'Évêché. Il avait cru oublier, dompter la passion;
mais elle renaissait avec un emportement de tempête, dans le terrible
homme qu'il était jadis, l'homme d'aventure, le descendant des
capitaines légendaires. Chaque soir, à genoux, la peau écorchée d'un
cilice, il s'efforçait de chasser le fantôme de la femme regrettée, il
évoquait du cercueil la poussière qu'elle devait être maintenant.

Et c'était vivante qu'elle se levait, en sa fraîcheur délicieuse de
fleur, telle qu'il l'avait aimée toute jeune, d'un amour fou d'homme
déjà mûr. La torture recommençait, saignante comme au lendemain de sa
mort; il la pleurait, il la désirait, avec la même révolte contre Dieu,
qui la lui avait prise; il ne se calmait qu'au petit jour, épuisé, dans
le mépris de lui-même et le dégoût du monde. Ah! la passion, la bête
mauvaise, qu'il aurait voulu écraser, pour retomber à la paix anéantie
de l'amour divin!

Monseigneur, quand il sortait de sa chambre, retrouvait son attitude
sévère, sa face calme et hautaine, à peine blêmie d'un reste de pâleur.
Le matin où Félicien s'était confessé, il avait écouté, sans une parole,
en se domptant d'un tel effort, que pas une fibre de sa chair ne
tressaillait. Il le regardait, le coeur bouleversé de le voir si jeune,
si beau, si ardent, de se revoir, dans cette folie de l'amour. Ce
n'était plus de la rancune, c'était l'absolue volonté, le devoir rude de
le soustraire au mal dont lui-même souffrait tant. Il tuerait la passion
dans son fils, comme il voulait la tuer en lui. Cette histoire
romanesque achevait de l'angoisser. Quoi! une fille pauvre, une fille
sans nom, une petite brodeuse aperçue sous un rayon de lune,
transfigurée en vierge mince de la Légende, adorée dans le rêve! Et il
avait fini par répondre d'un seul mot: Jamais! Félicien s'était jeté à
ses genoux, l'implorant, plaidant sa cause, celle d'Angélique.

Jusque-là, il ne l'avait approché qu'en tremblant, il le suppliait de ne
pas s'opposer à son bonheur, sans même oser encore lever les yeux sur sa
personne sainte. La voix soumise, il offrait de disparaître, d'emmener
sa femme si loin qu'on ne les reverrait pas, d'abandonner à l'Église sa
grande fortune. Il ne voulait qu'être aimé et aimer, inconnu. Un
frisson, alors, avait secoué Monseigneur. Sa parole était engagée aux
Voincourt, jamais il ne la reprendrait. Et Félicien, à bout de forces,
se sentant envahir d'une rage, s'en était allé, dans la crainte du flot
de sang dont ses joues s'empourpraient, et qui le jetait au sacrilège
d'une révolte ouverte.

--Mon enfant, conclut Hubertine, tu vois bien qu'il ne faut plus songer
à ce jeune homme, car tu ne comptes point sans doute agir contre la
volonté de Monseigneur.... Je prévoyais tout cela. Mais j'aime mieux que
les faits parlent et que l'obstacle ne vienne pas de moi.

Angélique avait écouté de son air tranquille, les mains tombées et
jointes sur les genoux. À peine ses paupières battaient elles de loin en
loin, ses regards fixes voyaient la scène, Félicien aux pieds de
Monseigneur, parlant d'elle, dans un débordement de tendresse. Elle ne
répondit pas tout de suite, elle continuait de réfléchir, au milieu de
la paix morte de la cuisine, où le petit frémissement du coquemar venait
de s'éteindre. Elle abaissa les paupières, elle regarda ses mains que la
lumière de la lampe faisait de bel ivoire. Puis, tandis que son sourire
d'invisible confiance lui remontait aux lèvres, elle dit simplement:

--Si Monseigneur refuse, c'est qu'il attend de me connaître.

Cette nuit-là, Angélique ne dormit guère. L'idée que sa vue déciderait
l'évêque, la hantait. Et il n'y avait là aucune vanité personnelle de
femme, elle sentait l'amour tout-puissant, elle aimait Félicien si fort
que cela certainement se verrait, et que le père ne pourrait s'entêter à
faire leur malheur. Vingt fois, dans son grand lit, elle se retourna, se
répéta ces choses.

Monseigneur passait devant ses yeux clos. Peut-être était-ce en lui et
par lui que le miracle attendu allait se produire.

La nuit chaude dormait au-dehors, elle prêtait l'oreille pour écouter
les voix, pour tâcher de surprendre ce que lui conseillaient les arbres,
la Chevrotte, la cathédrale, sa chambre elle-même, peuplée des ombres
amies. Mais tout bourdonnait, il ne lui arrivait rien de précis. Une
impatience lui venait des certitudes trop lentes. Et, en s'endormant,
elle se surprit à dire:

--Demain, je parlerai à Monseigneur.

Quand elle se réveilla, sa démarche lui parut toute simple et
nécessaire. C'était de la passion ingénue et brave, une grande pureté
fière dans la bravoure.

Elle savait que, chaque samedi, vers cinq heures du soir, l'évêque
allait s'agenouiller dans la chapelle Hautecoeur, où il aimait à prier
seul, tout au passé de sa race et de lui-même, cherchant une solitude
respectée de son clergé entier; et, justement, on était au samedi. Elle
eut vite pris une décision. À l'Évêché, peut-être ne l'aurait-on pas
reçue; d'autre part, il y avait toujours là du monde, elle se serait
troublée; tandis qu'il était si commode d'attendre dans la chapelle et
de se nommer à Monseigneur, dès qu'il paraîtrait. Ce jour-là, elle broda
avec son application et sa sérénité accoutumées, elle n'avait aucune
fièvre, résolue en son vouloir, certaine de bien agir. Puis, à quatre
heures, elle parla de monter voir la mère Gabet, elle sortit, vêtue
comme pour ses courses de quartier, simplement coiffée d'un chapeau de
jardin, noué au petit bonheur des doigts. Elle avait tourné à gauche,
elle poussa le battant rembourré de la porte Sainte-Agnès, qui retomba
sourdement derrière elle.

L'église était vide, seul un confessionnal de la chapelle Saint Joseph
se trouvait occupé encore par une pénitente, dont on ne voyait déborder
que la jupe noire; et Angélique, très calme jusque-là, se mit à
trembler, en entrant dans cette solitude sacrée et froide, où le petit
bruit de ses pas lui paraissait retentir terriblement. Pourquoi donc son
coeur se serrait-il ainsi? Elle s'était crue si forte, elle avait passé
une journée tranquille; dans l'idée de son bon droit à vouloir être
heureuse! Et voilà qu'elle ne savait plus, qu'elle pâlissait comme une
coupable! Elle se glissa jusqu'à la chapelle Hautecoeur, elle dut s'y
tenir appuyée contre la grille. Cette chapelle était une des plus
enterrées, une des plus sombres de l'antique abside romane. Pareille à
un caveau taillé dans le roc, étroite et nue, avec les simples nervures
de sa voûte basse, elle n'était éclairée que par le vitrail, la légende
de saint Georges, où les verres rouges et les verres bleus, dominant,
faisaient un jour lilas, crépusculaire. L'autel, en marbre blanc et
noir, sans ornement aucun, avec son christ et sa double paire de
chandeliers, ressemblait à un sépulcre. Et le reste des murs était
revêtu de pierres tombales, tout un encastrement du haut en bas, des
pierres rongées par l'âge, où des inscriptions en lettres profondes se
lisaient encore.

Étouffée, Angélique attendait, immobile. Un bedeau passa, qui ne la vit
même point, collée à l'intérieur de cette grille.



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