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Un bedeau passa, qui ne la vit même point, collée à l'intérieur de cette grille. Elle apercevait toujours la jupe de la pénitente débordant du confessionnal. Ses yeux s'habituaient au demi-jour, se fixaient machinalement sur les inscriptions, dont elle finit par déchiffrer les caractères. Des noms la frappaient, éveillaient en elle les légendes du château d'Hautecoeur, Jean V le Grand, Raoul III, Hervé VII. Elle en rencontra deux autres, ceux de Laurette et de Balbine, qui l'émurent aux larmes, dans son trouble. C'étaient ceux des Mortes heureuses, Laurette tombée d'un rayon de lune en allant rejoindre son fiancé, Balbine foudroyée de joie par le retour de son mari qu'elle croyait tué à la guerre, toutes les deux revenant la nuit, enveloppant le château du vol blanc de leur robe immense. Ne les avait-elle pas vues, le jour de sa visite aux ruines, flotter au-dessus des tours, parmi la cendre pâle du crépuscule? Ah! qu'elle serait morte volontiers comme elles, à seize ans, dans le bonheur de son rêve réalisé! Un bruit énorme, répercuté sous les voûtes, la fit tressaillir. C'était le prêtre qui sortait du confessionnal de la chapelle Saint Joseph, et qui en refermait la porte. Elle eut une surprise, en ne retrouvant pas la pénitente, disparue déjà. Puis, quand le prêtre, à son tour, s'en fut allé par la sacristie, elle se sentit absolument seule, dans la vaste solitude de l'église. À ce bruit de tonnerre du vieux confessionnal craquant sur ses ferrures rouillées, elle avait cru que Monseigneur approchait. Elle l'attendait depuis une demi-heure bientôt, et elle n'en avait point conscience, son émotion emportait les minutes. Mais un nouveau nom arrêtait ses yeux, Félicien III, celui qui s'était rendu en Palestine, un cierge au poing, pour remplir un voeu de Philippe le Bel. Et son coeur battit, elle voyait se lever la tête jeune de Félicien VII, leur descendant à tous, le blond seigneur qu'elle adorait, dont elle était adorée. Elle en demeurait éperdue d'orgueil et de crainte. Était-ce possible qu'elle fût là, pour l'accomplissement du prodige? Devant elle, il y avait une plaque de marbre, plus récente, datant du siècle dernier, où elle lisait couramment, en lettres noires: Norbert, Louis, Ogier, marquis d'Hautecoeur, prince de Mirande et de Rouvres, comte de Ferrières, de Montégu, de Saint-Marc, et aussi de Villemareuil, baron de Combeville, seigneur de Morainvilliers, chevalier des quatre ordres du roi, lieutenant de ses armées, gouverneur de Normandie, pourvu de la charge de capitaine général de la vénerie et de l'équipage du sanglier. C'étaient les titres du grand-père de Félicien, elle était venue, si simple, avec sa robe d'ouvrière, ses doigts abîmés par l'aiguille, pour épouser le petit-fils de ce mort. Il y eut un léger bruit, à peine un frôlement sur les dalles. Elle se retourna, et vit Monseigneur, et resta saisie de cette approche silencieuse, sans le coup de foudre qu'elle attendait. Il était entré dans la chapelle, très grand, très noble, avec sa face pâle au nez un peu fort, aux yeux superbes, restés jeunes. D'abord, il ne l'aperçut pas, contre cette grille noire. Puis, comme il s'inclinait vers l'autel, il la trouva devant lui, à ses pieds. Les jambes fléchissantes, anéantie de respect et d'effroi, Angélique était tombée sur les deux genoux. Il lui apparaissait comme Dieu le Père, terrible, maître absolu de sa destinée. Mais elle avait le coeur courageux, elle parla tout de suite. --Ô Monseigneur, je suis venue.... Lui, s'était redressé. Il se souvenait d'elle: la jeune fille remarquée à sa fenêtre, le jour de la procession, retrouvée dans l'église, debout sur une chaise, cette petite brodeuse dont son fils était fou. Il n'eut pas une parole, pas un geste. Il attendait, haut, rigide.--Ô Monseigneur, je suis venue, pour que vous puissiez me voir.... Vous m'avez refusée, seulement vous ne me connaissiez pas. Et me voilà, regardez-moi, avant de me repousser encore.... Je suis celle qui aime et qui est aimée, et rien autre, rien en dehors de cet amour, rien qu'une enfant pauvre, recueillie à la porte de cette église.... Vous me voyez à vos pieds, combien je suis petite, faible et humble. Cela vous sera facile de m'écarter, si je vous gêne. Vous n'avez qu'à lever un doigt, pour me détruire.... Mais, que de larmes! Il faut savoir ce qu'on souffre. Alors, on est pitoyable.... J'ai voulu, à mon tour, défendre ma cause, Monseigneur. Je suis une ignorante, je sais uniquement que j'aime et que je suis aimée.... Cela ne suffit-il point? Aimer, aimer et le dire! Et elle continuait en phrases, coupées et soupirées, elle se confessait toute, dans un élan de naïveté, de passion croissante. C'était l'amour qui avoue. Elle osait ainsi, parce qu'elle était chaste. Peu à peu, elle avait relevé la tête. --Nous nous aimons, Monseigneur. Lui, sans doute, vous a expliqué comment cette chose a pu se faire. Moi, souvent, je me le suis demandé, sans parvenir à me répondre.... Nous nous aimons, et si c'est un crime, pardonnez-le, car il est venu de loin, des arbres et des pierres mêmes qui nous entouraient. Quand j'ai su que je l'aimais, il était trop tard pour ne plus l'aimer.... Maintenant, est-ce possible de vouloir cela? Vous pouvez le garder chez vous, le marier ailleurs, mais vous n'arriverez pas à faire qu'il ne m'aime point. Il mourra sans moi, comme je mourrai sans lui. Lorsqu'il n'est pas là, à mon côté, je sens bien qu'il y est encore, que nous ne nous séparons plus, que l'un emporte le coeur de l'autre. Je n'ai qu'à fermer les yeux, je le revois, il est en moi.... Et vous nous arracheriez de cette union? Monseigneur, cela est divin, ne nous empêchez pas de nous aimer. Il la regardait, si fraîche, si simple, d'une odeur de bouquet, dans sa petite robe d'ouvrière. Il l'écoutait dire le cantique de son amour, d'une voix pénétrante de charme, peu à peu raffermie. Mais le chapeau de jardin glissa sur ses épaules, ses cheveux de lumière lui nimbèrent le visage d'or fin; et elle lui apparut comme une de ces vierges légendaires des anciens missels, avec quelque chose de frêle, de primitif, d'élancé dans la passion, de passionnément pur. --Soyez bon, Monseigneur.... Vous êtes le maître, faites que nous soyons heureux. Elle l'implorait, elle courbait de nouveau le front, en le voyant si froid, toujours sans une parole, sans un geste. Ah! cette enfant éperdue à ses pieds, cette odeur de jeunesse qui s'exhalait de sa nuque ployée devant lui! Là, il retrouvait les petits cheveux blonds, si follement baisés autrefois. Celle dont le souvenir le torturait après vingt ans de pénitence, avait cette jeunesse odorante, ce col d'une fierté et d'une grâce de lis. Elle renaissait, c'était elle-même qui sanglotait, qui le suppliait d'être doux à la passion. Les larmes étaient venues, Angélique continuait pourtant, voulait tout dire. --Et, Monseigneur, ce n'est pas seulement lui que j'aime, j'aime encore la noblesse de son nom, l'éclat de sa royale fortune.... Oui, je sais que, n'étant rien, n'ayant rien, j'ai l'air de le vouloir pour son argent; et, c'est vrai, c'est aussi pour son argent que je le veux.... Je vous dis cela, puisqu'il faut que vous me connaissiez.... Ah! devenir riche par lui, avec lui, vivre dans la douceur et la splendeur du luxe, lui devoir toutes les joies, être libres de notre amour, ne plus laisser de larmes, plus de misères, autour de nous!... Depuis qu'il m'aime, je me vois vêtue de brocart, comme dans l'ancien temps; j'ai au cou, aux poignets, des ruissellements de pierreries et de perles; j'ai des chevaux, des carrosses, de grands bois où je me promène à pied, suivie par des pages.... Jamais je ne pense à lui, sans recommencer ce rêve; et je me dis que cela doit être, il a rempli mon désir d'être reine. Monseigneur, est-ce donc vilain, de l'aimer davantage, parce qu'il comblera tous mes souhaits d'enfant, les pluies d'or miraculeuses des contes de fées? Il la trouvait fière, redressée, avec son grand air charmant de princesse, dans sa simplicité. Et c'était bien l'autre, la même délicatesse de fleur, les mêmes larmes tendres, claires comme des sourires. Toute une ivresse émanait d'elle, dont il sentait monter à sa face le frisson tiède, ce même frisson du souvenir qui le jetait, la nuit, sanglotant à son prie-Dieu, troublant de ses plaintes le silence religieux d'évêché. Jusqu'à trois heures du matin, la veille, il avait lutté encore; et cette aventure d'amour, cette passion remuée ainsi, irritait son inguérissable blessure. Mais, derrière son impassibilité, rien n'apparaissait, ne trahissait l'effort du combat, pour dompter les battements du coeur. S'il perdait son sang goutte à goutte, personne ne le voyait couler: il n'en était que plus pâle et plus muet. Alors, ce grand silence obstiné désespéra Angélique, qui redoubla de supplications.--Je me remets entre vos mains, Monseigneur. Ayez pitié, décidez de mon sort. Et il ne parlait toujours pas, il la terrifiait, comme s'il avait grandi devant elle, d'une redoutable majesté. La cathédrale déserte, avec ses bas-côtés déjà sombres, ses voûtes hautes où se mourait le jour, élargissait encore l'angoisse de l'attente. Dans la chapelle, on ne distinguait même plus les pierres tombales, il ne restait que lui, avec sa soutane noire, sa longue face blanche, qui semblait seule avoir gardé de la lumière. Elle en voyait les yeux luire, s'attacher sur elle avec un éclat croissant. Était-ce donc de la colère qui les allumait de la sorte? --Monseigneur, si je n'étais pas venue, je me serais éternellement reproché d'avoir fait notre malheur à tous deux, par manque de courage.... Dites, je vous en supplie, dites que j'ai eu raison, que vous consentez. À quoi bon discuter avec cette enfant? Il avait donné à son fils les raisons de son refus, cela suffisait. S'il ne parlait pas, c'était qu'il croyait n'avoir rien à dire. Elle le comprit sans doute, elle voulut se hausser jusqu'à ses mains, pour les baiser. Mais il les écarta violemment en arrière; et elle s'effara, en remarquant que sa face pâle s'empourprait d'un brusque flot de sang. --Monseigneur.... Pages: | Prev | | 1 | | 2 | | 3 | | 4 | | 5 | | 6 | | 7 | | 8 | | 9 | | 10 | | 11 | | 12 | | 13 | | 14 | | 15 | | 16 | | 17 | | 18 | | 19 | | 20 | | 21 | | 22 | | 23 | | 24 | | 25 | | 26 | | 27 | | 28 | | 29 | | 30 | | 31 | | 32 | | 33 | | 34 | | 35 | | 36 | | 37 | | 38 | | 39 | | 40 | | 41 | | Next | Keywords: |
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