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Jamais elle n'avait songé à cette faiblesse possible, elle le voyait plié sous le devoir, faisant au nom de l'obéissance leur malheur à tous deux. Et, sans qu'elle bougeât encore, ses yeux s'étaient portés vers la grille, une révolte la soulevait enfin, le besoin d'en aller secouer les barreaux, de l'ouvrir de ses ongles, de courir près de lui et de le soutenir de son courage, pour qu'il ne cédât pas. Elle fut surprise de s'entendre répondre à la mère Gabet, dans l'instinct purement machinal de cacher son trouble. --Ah! c'est mademoiselle Claire qu'il épouse.... Elle est très belle, on la dit très bonne.... Sûrement, dès que la vieille femme serait partie, elle irait le rejoindre. Elle avait assez attendu, elle briserait son serment de ne pas le revoir, comme un obstacle importun. De quel droit les séparait-on ainsi? Tout lui criait leur amour, la cathédrale, les eaux fraîches, les vieux ormes, parmi lesquels ils s'étaient aimés. Puisque leur tendresse avait grandi là, c'était là qu'elle voulait le reprendre, pour s'enfuir à, son cou, très loin, si loin, que jamais plus on ne les retrouverait. --Ça y est, dit enfin la mère Gabet, qui venait de pendre à un buisson les dernières serviettes. Dans deux heures, ça sera sec.... Bien le bonsoir, mademoiselle, puisque vous n'avez que faire de moi. Maintenant, debout au milieu de cette floraison de linges, éclatants sur l'herbe verte, Angélique songeait à cet autre jour, où, dans le grand vent, parmi le claquement des draps et des nappes, leurs coeurs s'étaient donnés, si ingénus. Pourquoi avait-il cessé de venir la voir? Pourquoi n'était-il pas à ce rendez-vous, dans cette gaieté saine de la lessive? Mais, tout à l'heure, quand elle le tiendrait entre ses bras, elle savait bien qu'il n'appartiendrait plus qu'à elle seule. Elle n'aurait, pas même besoin de lui reprocher sa faiblesse, il lui suffirait de s'être montrée, pour qu'il retrouvât la volonté de leur bonheur. Il oserait tout, elle n'avait qu'à le rejoindre, dans un instant. Une heure se passa, et Angélique marchait à pas ralentis, entre les linges, toute blanche elle-même de l'aveuglant reflet du soleil, et une voix confuse s'élevait dans son être, grandissait, l'empêchait d'aller là-bas, à la grille. Elle s'effrayait devant cette lutte commençante. Quoi donc? il n'y avait pas en elle que son vouloir? une autre chose, qu'on y avait mise sans doute, la contrecarrait, bouleversait la bonne simplicité de sa passion. C'était si simple, de courir à celui qu'on aime; et elle ne le pouvait déjà plus, le tourment du doute la tenait: elle avait juré, puis ce serait très mal peut-être. Le soir, lorsque la lessive fut sèche et qu'Hubertine vint l'aider à la rentrer, elle ne s'était pas décidée encore, elle se donna la nuit pour réfléchir. Les bras débordant de ces linges de neige, qui sentaient bon, elle jeta un regard d'inquiétude au Clos-Marie, déjà noyé de crépuscule, comme à un coin de nature ami refusant d'être complice. Le lendemain, Angélique s'éveilla pleine de trouble. D'autres nuits se passèrent, sans lui apporter une résolution. Elle ne retrouvait son calme que dans sa certitude d'être aimée. Cela était resté inébranlable, elle s'y reposait divinement. Aimée, elle pouvait attendre, elle supporterait tout. Des crises de charité l'avaient reprise, elle s'attendrissait aux moindres souffrances, les yeux gonflés de larmes toujours près de jaillir. Le père Mascart se faisait donner du tabac, les Chouteau tiraient d'elle jusqu'à des confitures. Mais surtout les Lemballeuse profitaient de l'aubaine, on avait vu Tiennette danser dans les fêtes, avec une robe de la bonne demoiselle. Et voilà, un jour, comme Angélique apportait à la mère Lemballeuse des chemises promises la veille, qu'elle aperçut de loin, chez les mendiants, madame de Vaincourt et sa fille Claire, accompagnées de Félicien. Celui-ci, sans doute, les avait amenées. Elle ne se montra pas, elle s'en revint, le coeur glacé. Deux jours plus tard, elle les vit qui entraient tous les trois chez les Chouteau; puis, un matin, le père Mascart lui conta une visite du beau jeune homme avec deux dames. Alors, elle abandonna ses pauvres, qui n'étaient plus à elle, puisque, après les lui avoir pris, Félicien les donnait à ces femmes; elle cessa de sortir, de peur de les rencontrer encore, de recevoir au coeur la blessure dont la souffrance, chaque fois, s'enfonçait davantage; et elle sentait que quelque chose mourait en elle, sa vie s'en allait goutte à goutte. Ce fut un soir, après une de ces rencontres, seule dans sa chambre, étouffée d'angoisse, qu'elle laissa échapper ce cri: --Mais il ne m'aime plus! Elle revoyait Claire de Voincourt, grande, belle, avec sa couronne de cheveux noirs; et elle le revoyait, lui, à côté, mince et fier. N'étaient-ils pas faits l'un pour l'autre, de la même race, si appareillés, qu'on les aurait crus mariés déjà? --Il ne m'aime plus, il ne m'aime plus!... Cela éclatait en elle, avec un grand bruit de ruine. Sa foi ébranlée, tout croulait, sans qu'elle retrouvât le calme d'examiner, de discuter froidement les faits. Elle croyait la veille, elle ne croyait plus à cette heure: un souffle, sorti elle ne savait d'où, avait suffi; et, d'un coup, elle était tombée à l'extrême misère, qui est de ne se croire pas aimé. Il le lui avait bien dit, autrefois: c'était l'unique douleur, l'abominable torture. Jusque-là, elle avait pu se résigner, elle attendait le miracle. Mais sa force s'en était allée avec la foi, elle roulait à une détresse d'enfant. Et la lutte douloureuse commença. D'abord, elle fit appel à son orgueil: tant mieux, s'il ne l'aimait plus! car elle était trop fière pour l'aimer encore. Et elle se mentait à elle-même, elle affectait d'être délivrée, de chantonner d'insouciance, pendant qu'elle brodait les armoiries des Hautecoeur, auxquelles elle s'était mise. Mais son coeur se gonflait à l'étouffer, elle avait la honte de s'avouer qu'elle était assez lâche pour l'aimer toujours, l'aimer davantage. Durant une semaine, les armoiries, en naissant fil à fil sous ses doigts, l'emplirent d'un affreux chagrin. Écartelé, un et quatre, deux et trois, de Jérusalem et d'Hautecoeur; de Jérusalem, qui est d'argent à la croix potencée d'or, cantonnée de quatre croisettes de même; d'Hautecoeur, qui est d'azur à la forteresse d'or, avec un écusson de sable au coeur d'argent en abîme, le tout accompagné de trois fleurs de lis d'or, deux en chef, une en pointe. Les émaux étaient faits de cordonnet, les métaux de fil d'or et d'argent. Quelle misère de sentir trembler sa main, de baisser la tête pour cacher ses yeux, que le flamboiement de ces armoiries aveuglait de larmes! Elle ne songeait qu'à lui, elle l'adorait dans l'éclat de sa noblesse légendaire. Et, lorsqu'elle broda la devise: Si Dieu veut, je veux, en soie noire sur une banderole d'argent, elle comprit bien qu'elle était son esclave, que jamais plus elle ne se reprendrait: ses pleurs l'empêchaient de voir, tandis que, machinalement, elle continuait à piquer l'aiguille. Alors, ce fut pitoyable, Angélique aima en désespérée, se débattit dans cet amour sans espoir, qu'elle ne pouvait tuer. Toujours, elle voulait courir à Félicien, le reconquérir en se jetant à son cou; et, toujours, la bataille recommençait. Parfois, elle croyait avoir vaincu, il se faisait un grand silence en elle, il lui semblait se voir, comme elle aurait vu une étrangère, toute petite, toute froide, agenouillée en fille obéissante, dans l'humilité du renoncement: ce n'était plus elle, c'était la fille sage qu'elle devenait, que le milieu et l'éducation avaient faite. Puis, un flot de sang montait, l'étourdissait; sa belle santé, sa jeunesse ardente galopaient en cavales échappées; et elle se retrouvait avec son orgueil et sa passion, toute à l'inconnu violent de son origine. Pourquoi donc aurait-elle obéi? Il n'y avait pas de devoir, il n'y avait que le libre désir. Déjà, elle apprêtait sa fuite, calculait l'heure favorable pour forcer la grille du jardin de l'évêque. Mais, déjà aussi, l'angoisse revenait, un sourd malaise, le tourment du doute. Si elle cédait au mal, elle en aurait l'éternel remords. Des heures, des heures abominables se passaient; au milieu de cette incertitude du parti à prendre, sous ce vent de tempête qui, sans cesse, la rejetait de la révolte de son amour à l'horreur de la faute. Et elle sortait affaiblie de chaque victoire sur son coeur. Un soir, au moment de quitter la maison pour aller rejoindre Félicien, elle songea brusquement à son livret d'enfant assistée, dans la détresse où elle était de ne plus trouver la force de résister à sa passion. Elle le prit au fond du bahut, le feuilleta, se souffleta à chaque page de la bassesse de sa naissance, affamée d'un ardent besoin d'humilité. Père et mère inconnus, pas de nom, rien qu'une date et un numéro, l'abandon de la plante sauvage qui pousse au bord du chemin! Et les souvenirs se levaient en foule, les prairies grasses de la Nièvre, les bêtes qu'elle y avait gardées, la route plate de Soulanges où elle marchait pieds nus, maman Nini qui la giflait, quand elle volait des pommes. Des pages surtout réveillaient sa mémoire, celles qui constataient, tous les trois mois, les visites du sous-inspecteur et du médecin, des signatures, accompagnées parfois d'observations et de renseignements: une maladie dont elle avait failli mourir, une réclamation de sa nourrice au sujet de souliers brûlés, des mauvaises notes pour son caractère indomptable. C'était le journal de sa misère. Mais une pièce acheva de la mettre en larmes, le procès-verbal constatant la rupture du collier qu'elle avait gardé jusqu'à l'âge de six ans. Elle se souvenait de l'avoir exécré d'instinct, ce collier fait d'olives en os, enfilées sur une ganse de soie, et que fermait une médaille d'argent, portant la date de son entrée et son numéro. Elle le devinait un collier d'esclave, elle l'aurait rompu de ses petites mains, sans la terreur des conséquences. Puis, l'âge venant, elle s'était plainte qu'il l'étranglait. Pendant un an encore, on le lui avait laissé. 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