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Text on one page: Few Medium Many
Et Félicien, la voyant guérie, bouleversé de cette grâce que le
Ciel leur faisait, s'approcha, s'agenouilla près du lit.

--Ah! chère âme, vous nous reconnaissez, vous vivez.... Je suis à vous,
mon père le veut bien, puisque Dieu l'a voulu.

Elle inclina la tête, elle eut un rire gai.

--Oh! je savais, j'attendais.... Tout ce que j'ai vu doit être.

Monseigneur, qui avait retrouvé sa hauteur sereine, lui posa de nouveau
sur la bouche le crucifix, qu'elle baisa cette fois, en servante
soumise. Puis, d'un grand geste, par toute la chambre, au-dessus de
toutes les têtes, il donna les bénédictions dernières, pendant que les
Hubert et l'abbé Comille pleuraient.

Félicien avait pris la main d'Angélique. Et, dans l'autre petite main,
le cierge d'innocence brûlait, très haut.




XIV


Le mariage fut fixé aux premiers jours de mars. Mais Angélique restait
très faible, malgré la joie qui rayonnait de toute sa personne. Elle
avait d'abord voulu redescendre à l'atelier, dés la première semaine de
sa convalescence, s'entêtant à finir le panneau de broderie en
bas-relief, pour le siège de Monseigneur: c'était la dernière
tâche d'ouvrière, disait-elle gaiement, on ne lâchait pas
une commande au beau milieu. Puis, épuisée par cet effort,
elle avait dû de nouveau garder la chambre. Elle y vivait souriante,
sans retrouver la santé pleine d'autrefois, toujours blanche et
immatérielle comme sous les saintes huiles, allant et venant d'un petit
pas de vision, se reposant, songeuse, pendant des heures, d'avoir fait
quelque longue course, de sa table à sa fenêtre. Et l'on recula le
mariage, on décida qu'on attendrait son complet rétablissement, qui ne
pouvait tarder, avec des soins.

Chaque après-midi, Félicien montait la voir, Hubert et Hubertine
étaient-là, on passait ensemble d'adorables heures, on refaisait les
mêmes projets, continuellement. Assise, elle se montrait d'une vivacité
rieuse, la première à parler des jours si remplis de leur prochaine
existence, les voyages, Hautecoeur à restaurer, toutes les félicités à
connaître. On l'aurait dit bien sauvée alors, reprenant des forces, dans
le printemps hâtif qui entrait, chaque jour plus tiède, par la fenêtre
ouverte. Et elle ne retombait aux gravités de ses songeries que
lorsqu'elle était seule, ne craignant pas d'être vue. La nuit, des voix
l'avaient effleurée; puis, c'était un appel de la terre, à son entour;
en elle aussi, la clarté se faisait, elle comprenait que le miracle
continuait uniquement pour la réalisation de son rêve. N'était-elle pas
morte déjà, n'existant plus parmi les apparences que grâce à un répit
des choses? Cela, aux heures de solitude, la berçait avec une douceur
infinie, sans regret à l'idée d'être emportée dans sa joie, certaine
toujours d'aller jusqu'au bout du bonheur. Le mal attendrait. Sa grande
allégresse en devenait simplement sérieuse, elle s'abandonnait, inerte,
ne sentait plus son corps, volait aux pures délices; et il fallait
qu'elle entendît les Hubert rouvrir la porte, ou que Félicien entrât la
voir, pour qu'elle se redressât, feignant la santé revenue, causant avec
des rires de leurs années de ménage, très loin, dans l'avenir.

Vers la fin de mars, Angélique sembla s'égayer encore. Deux fois, toute
seule, elle avait eu des évanouissements. Un matin, elle venait de
tomber au pied du lit, comme Hubert lui montait justement une tasse de
lait; et, pour le tromper, elle plaisanta par terre, raconta qu'elle
cherchait une aiguille perdue.

Puis, le lendemain, elle se fit très joyeuse, elle parla de brusquer le
mariage, de le mettre à la mi-avril. Tous se récrièrent: elle
était encore si faible, pourquoi ne pas attendre? rien ne pressait.
Mais elle s'enfiévra, elle voulait tout de suite, tout de suite.
Hubertine, surprise, eut un soupçon devant cette hâte, la regarda un
instant, pâlissante au petit souffle froid qui l'effleurait. Déjà, la
chère malade se calmait, dans son tendre besoin de faire illusion aux
autres, elle qui se savait condamnée. Hubert et Félicien, en continuelle
adoration, n'avaient rien vu, rien senti. Et, se mettant debout par un
effort de volonté, allant et venant de son pas souple d'autrefois, elle
était charmante, elle dit que la cérémonie achèverait de la guérir, tant
elle serait heureuse. D'ailleurs, Monseigneur déciderait. Quand, le soir
même, l'évêque fut là, elle lui expliqua son désir, les yeux dans les
siens, sans le quitter du regard, la voix si douce, que, sous les mots,
il y avait l'ardente supplication de ce qu'elle ne disait pas.
Monseigneur savait, et il comprit. Il fixa le mariage à la mi-avril.

Alors, on vécut dans le tumulte, de grands préparatifs furent faits.
Hubert, malgré sa tutelle officieuse, avait dû demander son consentement
au directeur de l'Assistance publique qui représentait toujours le
conseil de famille, Angélique n'étant point majeure; et M. Grandsire, le
juge de paix, s'était chargé de ces détails, afin d'en éviter le côté
pénible à Félicien et à la jeune fille. Mais celle-ci ayant vu qu'on se
cachait, se fit monter un jour son livret d'élève, désirant le remettre
elle même à son fiancé. Elle était désormais en état d'humilité
parfaite, elle voulait qu'il sût bien la bassesse d'où il la tirait,
pour la hausser dans la gloire de son nom légendaire et de sa grande
fortune. C'étaient ses parchemins, à elle, cette pièce administrative,
cet écrou où il n'y avait qu'une date suivie d'un numéro. Elle le
feuilleta une fois encore, puis le lui donna sans confusion, joyeuse de
ce qu'elle n'était rien et de ce qu'il la faisait tout. Il en fut touché
profondément, il s'agenouilla, lui baisa les mains avec des larmes,
comme si ce fût elle qui lui eût fait l'unique cadeau, le royal cadeau
de son coeur. Les préparatifs, pendant deux semaines, occupèrent
Beaumont, bouleversèrent la ville haute et la ville basse.

Vingt ouvrières, disait-on, travaillaient nuit et jour au trousseau. La
robe de noce, à elle seule, en occupait trois; et il y aurait une
corbeille d'un million, un flot de dentelles, de velours, de satin et de
soie, un ruissellement de pierreries, des diamants de reine. Mais
surtout ce qui remuait le monde, c'étaient les aumônes considérables, la
mariée ayant voulu donner aux pauvres autant qu'on lui donnait, à elle,
un autre million qui venait de s'abattre sur la contrée, en une pluie
d'or.

Enfin, elle contentait son ancien besoin de charité, dans les
prodigalités du rêve, les mains ouvertes, laissant couler sur les
misérables un fleuve de richesse, un débordement de bien-être. De la
petite chambre blanche et nue, du vieux fauteuil où elle était clouée,
elle en riait de ravissement, lorsque l'abbé Cornille lui apportait les
listes de distribution. Encore, encore! on ne distribuait jamais assez.
Elle aurait désiré le père Mascart attablé devant des festins de prince,
les Chouteau vivant dans le luxe d'un palais, la mère Gabet guérie,
redevenue jeune, à force d'argent; et les Lemballeuse, la mère et les
trois filles, elle les aurait comblées de toilettes et de bijoux. La
grêle des pièces d'or redoublait sur la ville, ainsi que dans les contes
de fées, au-delà même des nécessités quotidiennes, pour la beauté et la
joie, la gloire de l'or, tombant à la rue et luisant au grand soleil de
la charité.

Enfin, la veille du beau jour, tout fut prêt. Félicien avait acquis,
derrière l'Évêché, rue Magloire, un ancien hôtel, qu'on achevait
d'installer somptueusement. C'étaient de grandes pièces, ornées
d'admirables tentures, emplies des meubles les plus précieux, un salon
en vieilles tapisseries, un boudoir bleu, d'une douceur de ciel matinal,
une chambre à coucher surtout, un nid de soie blanche et de dentelle
blanche, rien que du blanc, léger, envolé, le frisson même de la
lumière. Mais Angélique, qu'une voiture devait venir prendre, avait
constamment refusé d'aller voir ces merveilles.

Elle en écoutait le récit avec un sourire enchanté, et elle ne donnait
aucun ordre, elle ne voulait point s'occuper de l'arrangement. Non, non,
cela se passait très loin, dans cet inconnu du monde qu'elle ignorait
encore. Puisque ceux qui l'aimaient lui préparaient ce bonheur, si
tendrement, elle désirait y entrer, ainsi qu'une princesse, venue des
pays chimériques, abordant au royaume réel, où elle régnerait. Et, de
même, elle se défendait de connaître la corbeille, qui, elle aussi,
était là-bas, le trousseau de linge fin, brodé à son chiffre de
marquise, les toilettes de gala chargées de broderies, les bijoux
anciens, tout un lourd trésor de cathédrale, et les joyaux modernes, des
prodiges de monture délicate, des brillants dont la pluie ne montrait
que leur eau pure. Il suffisait à la victoire de son rêve que cette
fortune l'attendît chez elle, rayonnante dans la réalité prochaine de la
vie. Seule, la robe de noce fut apportée, le matin du mariage.

Ce matin-là, éveillée avant les autres, dans son grand lit, Angélique
eut une minute de défaillance désespérée, en craignant de ne pouvoir se
tenir debout. Elle essayait, sentait plier ses jambes; et, démentant la
vaillante sérénité qu'elle montrait depuis des semaines, une angoisse
affreuse, la dernière, cria de tout son être. Puis, dès qu'elle vit
entrer Hubertine joyeuse, elle fut surprise de marcher, car ce n'étaient
plus ses forces à elle, une aide sûrement lui venait de l'invisible, des
mains amies la portaient. On l'habilla, elle ne pesait plus rien, elle
était si légère, que, plaisantant, sa mère s'en étonnait, lui disait de
ne pas bouger davantage, si elle ne voulait point s'envoler. Et, pendant
toute la toilette, la petite maison fraîche des Hubert, vivant au flanc
de la cathédrale, frissonna du souffle énorme de la géante, de ce qui
déjà y bourdonnait de la cérémonie, l'activité fiévreuse du clergé, les
volées des cloches surtout, un branle continu d'allégresse, dont
vibraient les vieilles pierres.

Sur la ville haute, depuis une heure, les clochers sonnaient, comme aux
grandes fêtes. Le soleil s'était levé radieux, une limpide matinée
d'avril, une ondée de rayons printaniers, vivante des appels sonores qui
avaient mis debout les habitants.

Beaumont entier était en liesse pour le mariage de la petite brodeuse,
que tous les coeurs épousaient.



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